Avant-propos du livre...
Le cinéma d’animation français est aujourd’hui une industrie créative et dynamique, une des composantes importantes du septième art mais aussi de l’histoire de l’art.
Ce livre vous propose un état des lieux de ces vingt dernières années, soit depuis 1998, date de naissance, du moins sur grand écran, de Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot.
Trois auteurs qui ont vécu de l’intérieur ce véritable petit âge d’or vous en proposent une chronique, à travers une soixantaine de films français sortis pendant cette période : les oeuvres qui artistiquement et économiquement ont marqué et jalonné ces années folles.
Un film d’animation conjugue des savoir-faire à la fois différents et complémentaires : le dessin, la sculpture, la scénographie, la musique, l’art dramatique et chorégraphique sans oublier, comme pour les autres films, l’écriture cinématographique (mise en scène, découpage, montage, sonorisation et mixage). C’est un cinéma d’orfèvre qui s’accomplit avec patience et longueur de temps. Dans son processus de fabrication, aucun détail ne peut être laissé au hasard. C’est un cinéma en toute liberté : chaque oeuvre invente sa réalité car décors et personnages sont à la fois totalement virtuels et capables de susciter des sentiments et des émotions aussi complexes que des images filmées.
Le temps et les équipes d’un film d’animation sont démultipliés par rapport à un film live. En moyenne, il faut compter entre quatre et cinq ans pour sa réalisation, mobilisant des armées de dessinateurs, créateurs de personnages, modeleurs, storyboarders, décorateurs, metteurs en espace, animateurs, coloristes, ingénieurs du son, monteurs, comédiens (pour les voix), réalisateurs (ils sont souvent plusieurs), producteurs, musiciens…
Ces équipes rassemblent d’ailleurs régulièrement des techniciens et artistes venus des quatre coins de l’Europe ou du monde. Les génériques cosmopolites sont interminables et se clôturent souvent par la liste des bébés de membres de l’équipe nés pendant la fabrication du film.
Quant au producteur, il est un armateur car un film d’animation est un paquebot long à fabriquer et lourd à manoeuvrer. Son rôle est largement évoqué dans cet ouvrage. Peu de pays ont su développer le secteur d’animation. Trois se sont distingués : les États-Unis, le Japon et la France. Ils ont su créer les conditions d’une industrie de l’animation créative, productive et exportatrice en faisant prospérer trois secteurs à la fois : l’audiovisuel, le cinéma de long métrage et le court métrage. L’audiovisuel (composé essentiellement des séries pour la télévision) est pourvoyeur de nombreuses heures de production. Le court métrage est le lieu d’exercice et d’éclosion de nouveaux talents. Son modèle économique est plus fragile, mais il est essentiel à la vitalité artistique du secteur. Quant au long métrage d’animation, il est la vitrine de l’excellence et de la bonne santé d’une industrie nationale.
C’est le secteur où s’expriment et se révèlent les talents artistiques et techniques. La France bénéficie dans ces trois secteurs d’une politique assidue et volontariste de l’État gérée par une institution que le monde entier lui envie, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Menée avec l’appui et la complicité des diffuseurs nationaux
privés ou publics, elle est d’une remarquable constance depuis plus de trente ans. L’industrie française de la série d’animation pour la télévision est aujourd’hui la première en Europe avec trois cent cinquante à quatre cents heures réalisées chaque année.
Le court métrage est traditionnellement un secteur vivace en France et un grand nombre des auteurs que nous citons dans ce livre ont d’abord été remarquables et remarqués par leurs oeuvres courtes. Avec plus de cent courts métrages d’animation par an, la création française représente un formidable vivier de talents.
Quant à l’industrie du cinéma d’animation de long métrage, elle a longtemps vivoté dans l’ombre de Disney. Mais en 1998, un petit enfant, Kirikou l’Africain, déposa subrepticement un baiser sur les lèvres de cette belle endormie et la réveilla en sursaut. Légende ou réalité, le microcosme de l’animation française considère aujourd’hui que la renaissance du film d’animation français résulte du succès inattendu de Kirikou et la Sorcière de Michel Ocelot, preuve que cinéma d’auteur et succès commercial sont non seulement compatibles mais représentent même la spécificité et la force du cinéma d’animation européen. En 2016, la production de dix longs métrages d’animation français a été engagée, un véritable record.
Aujourd’hui, le secteur vit une nouvelle transformation. Quand certains producteurs français continuent de mettre les auteurs au premier plan, d’autres choisissent de conquérir le monde avec des méthodes à l’américaine. Les budgets s’envolent, les scénarios et réalisations sont “sous contrôle”, les réalisateurs sont formés à Los Angeles aux méthodes des studios hollywoodiens. Les sorties des films sur un très grand nombre d’écrans avec des frais de promotion conséquents arrosent le monde entier, et plus particulièrement les marchés américain et chinois.
Ces deux stratégies cohabitent pour l’instant plus ou moins harmonieusement, mais qu’en sera-t-il demain ? En tout cas, il y a donc un “avant” et un “après” Kirikou.
Nous avons choisi de raconter de l’intérieur ces “vingt glorieuses” du cinéma français d’animation, vingt ans de renaissance.
Didier Brunner, producteur
D’abord auteur et réalisateur, Didier Brunner est passé dès 1987 à la production. Sa société Les Armateurs remporte ses premiers succès dès 1997, grâce au court métrage La Vieille Dame et les Pigeons de Sylvain Chomet, puis au film de Michel Ocelot Kirikou et la sorcière, sorti en 1998. Suivront Princes et Princesses de Michel Ocelot (2000), Les Triplettes de Belleville de Sylvain Chomet, Kirikou et les bêtes sauvages (2005) réalisé par Michel Ocelot et Bénédicte Galup, et Brendan et le Secret de Kells (2008) de Tomm Moore. Didier Brunner a également produit Ernest et Célestine, adapté des livres de Gabrielle Vincent sur un scénario de Daniel Pennac.
Valérie Ganne, journaliste
Journaliste indépendante spécialisée dans le cinéma et son économie, elle a écrit notamment pour la presse écrite spécialisée (Écran Total, Synopsis, Première), ainsi que pour plusieurs sites internet généralistes. Co-auteure d’un essai léger sur l’émancipation féminine (Merci les Filles !), elle a également réalisé deux documentaires, dont un web-documentaire historique et ludique : Mesdames-Messieurs, en ligne sur le site de France Télévisions Education jusqu’en 2020.
Jean-Paul Commin, producteur-distributeur
Journaliste de formation, Jean-Paul Commin a occupé de nombreux postes de direction dans différentes entreprises de l’audiovisuel et du cinéma ainsi qu’à France Télévision Distribution. A ce titre il participe en particulier à la production et distribution de plus de 20 films de longs métrages d’animation, dont ceux initiés par Les Armateurs. De 2004 à 2006, il préside par ailleurs le comité de pilotage du comité exécutif de l’Observatoire européen de l’audiovisuel (Conseil de l’Europe). Fin 2015, avec Didier Brunner, il fonde l’Association Européenne de l’Animation (E.A.A), qui prévoit de remettre ses prix à compter de fin 2017 sous le nom de Emile Awards.