Dans un futur terrifiant voué au culte de la performance et du contrôle absolu des individus, des jeunes gens en appellent à l’esprit de résistance.
Dans ce pays-là et ce futur-là, en Naol, le rêve et le doute sont prohibés, le rendement est le mot d’ordre et les habitants vantent les bienfaits de l’hyperactivité. Tous, sauf Ellis Spencer. Discrète, chétive et étourdie,
Ellis est le strict opposé de ses deux frères, Allan et Richard, de vrais enfants “modèles”. La jeune fille est donc un grand sujet d’inquiétude pour ses parents qui la placent dans une école spéciale pour enfants à problèmes, l’Académie. L’occasion pour Ellis de comprendre qu’elle n’est pas si seule à être marginale... Un autre élève, Peter, clairement en opposition avec la discipline nationale, attire son attention et la convainc progressivement d’intégrer un réseau de résistance ultrasecret. L’objectif de cette organisation : résister pour avoir le droit de ne pas porter des puces électroniques, ni de travailler jusqu’à la fin de sa vie… D’abord effrayée par ce réseau clandestin, Ellis comprend vite qu’elle tient là une chance inespérée de pouvoir être elle-même et s’engage dans cette lutte.
INTERVIEW DE JUSTINE AUGIER :
Dans La Vie étonnante d’Ellis Spencer, l’héroïne éponyme évolue dans une société du futur ultra-contrôlée. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de la littérature d’anticipation ?
La société dans laquelle évolue Ellis est ultra-contrôlée mais c’est un contrôle qui est intériorisé par les habitants. Les enfants sont les seuls à être surveillés en permanence et ils le sont par leurs parents. Une fois grands, les habitants de la Naol sont censés avoir intégré les codes et règles à respecter (ceux qui ne l’ont pas fait sont internés).
Les autorités ont obtenu ce résultat en limitant au maximum la possibilité pour le doute et le rêve de s’immiscer dans les esprits. Pour cela elles ont cherché à annihiler les temps morts (les retraites ont par exemple été supprimées), ont multiplié au maximum les activités pratiquées de façon simultanée, ont placé le divertissement au coeur de la vie de chacun, ont encouragé chacun à manifester un enthousiasme délirant et épuisant, ont créé une adéquation parfaite entre succès social et réalisation de son potentiel, ont appris aux enfants à confier toutes leurs idées, glorifiant ainsi la notion de transparence.
Ce scénario a bien sûr pris racine dans l’observation de certaines évolutions de notre propre société, telles que l’utilisation de plus en plus rationnelle du temps, la place grandissante occupée par le divertissement, ou encore l’omniprésence des notions d’investissement et de rentabilité qui envahissent la sphère même de l’éducation. Avoir recours à la littérature d’anticipation me permettait d’explorer la puissance potentielle de ces travers, mais aussi d’instiller dans l’exploration de cette réalité politique une distance nécessaire, génératrice de fantaisie et d’humour.
La Vie étonnante d’Ellis Spencer est une dystopie. Quelles sont les références qui vous ont influencée ?
J’ai lu bien sûr les grands classiques (Huxley, Orwell) mais aussi Le Maître du haut château de Philip K. Dick, qui est plutôt une uchronie. Ces textes – et le dernier notamment – m’ont tous frappée dans la façon dont ils engagent le lecteur à conduire une réflexion poussée sur le contexte historique et politique dans lequel il évolue, mais surtout sur le grand plaisir qu’ils parviennent à véhiculer en même temps que l’effroi.
“Je suis née il y a onze ans (presque douze en fait), soit vraiment bien après la fin de la Grande Guerre. Pourtant, il suffit de regarder les habitants de mon pays (la Naol) pour savoir qu’ils l’ont gagnée cette guerre et qu’ils continuent, des années et des années après la victoire, à en éprouver une grande fierté. (…)
Ici, les enfants, même les plus petits, parlent comme des adultes (à moins bien sûr que ce ne soit le contraire, je ne suis là que depuis onze ans et je ne peux pas vraiment savoir comment toute cette affaire a commencé). Ils parlent avec les mêmes mots savants, avec le même enthousiasme dingue et un peu énervant (vraiment beaucoup de « ! », et de « ?! », ou même de « ???!!!! ») et avec une voix très forte qui vient de la gorge, comme s’ils criaient, comme s’ils n’en avaient rien à faire de gêner les discussions des autres, comme s’ils ne doutaient jamais que ce qu’ils avaient à dire devaient bien pouvoir intéresser le pays entier.
Les habitants appartiennent tous à une famille (la mienne s’appelle Spencer), un quartier (le mien s’appelle Centre4), et bien sûr à la Naol (au-delà du pays il y a une grande obscurité, vraiment effrayante). Il faut à tout prix appartenir à la famille, au quartier et au pays. Et il faut à tout prix occuper le plus de place possible au sein de chacun de ces groupes, car en Naol l’unité de mesure du succès est l’espace occupé. Henry et Ann Spencer (mes parents), deux leaders très influents au sein du fond d’investissement qui gère les retraites du pays (Deuxième Vie Inc.), occupent beaucoup d’espace (exactement 23 828 mètres carrés répartis sur une tour de soixante-quatorze étages au jour de ma naissance).”
Après avoir passé cinq années à Jérusalem, trois à New York, et trois à Beyrouth, JUSTINE AUGIER a provisoirement posé ses bagages - et ses trois enfants - à Paris.
Elle est l’autrice de deux romans parus chez Stock (Son absence, 2008 et En règle avec la nuit, 2010). En 2013, Actes Sud publie son récit polyphonique Jérusalem, portrait. En avril 2015, paraît son nouveau roman, Les idées noires.
Elle revient ensuite au récit littéraire avec le très impressionnant De l'ardeur (Histoire de Razan Zaitouneh, avocate syrienne), qui lui vaut le prix Renaudot Essai 2017. Elle retrace l'histoire de Razan Zaitouneh, dissidente syrienne enlevée en 2013, en même temps que Samira Khalil, l'épouse de Yassin al-Haj Saleh.
Avec Par une espèce de miracle, elle accompagne dans l'exil celui qui devient sous nos yeux un ami et prolonge le geste qui fait de l'écriture le lieu de son engagement.
Elle est également l'autrice, chez Actes Sud junior, de deux romans pour "ado" : La Vie étonnante d’Ellis Spencer et Nous sommes tout un monde.
JEANNE DETALLANTE a collaboré avec Vogue, The New Yorker, The New York Times, Vanity Fair, XXI ou encore les marques Sisheido, Carven, Prada et Miu Miu. Chez Actes Sud jeunnesse elle a notamment illustré le Cabinet de curiosités récompensé à la Foire de Bologne 2015 (mention catégorie Non Fiction), Paloma et le vaste monde, La Vie en architecture Entre deux infinis et Joan Baez dit "non à l'injustice".